Choisir entre la couleur Bleu Facebook ou celui de Gap, trouver la couleur idéale pour l’accueil d’un site e-commerce ou encore concevoir un logo à la fois moderne et reconnaissable dans les couleurs de Vuitton, c’est le quotidien des designers qui sont à la recherche du Saint-Graal…
Entre s’inspirer et suivre les recommandations, innover et ne pas commettre de fautes de goût, le choix de(s) couleur(s) pour le designer – qui doit déjà s’appuyer sur l’art de la lettre et la typographie en parallèle de cette recherche – doit se baser non pas sur les guides des marqueteurs mais sur un véritable sens de la composition.
Connaître quelques principes à remettre dans leur contexte
Se baser sur les guides qu’on nous présente comme étant des référentiels, c’est exactement comme vouloir habiller les uns avec tel uniforme, les autres en blouse blanche ou les filles toutes en rose.
L’art de la typographie et du maniement des couleurs est un jeu constant entre les principes et l’innovation, entre la mesure et le contraste, entre le commun et l’original…
Encore une fois, cela demande d’approfondir et ne pas suivre à la lettre ce qui est écrit, sans réflexion. Vous ne trouverez donc aucune jolie infographie sur la psychologie des couleurs dans cet article.
Parce que même si la psychologie de la couleur traite en effet des sensations liées aux différentes ondes (c’est d’ailleurs très intéressant), cela reste des schémas universels et toute l’histoire de l’humanité prouve qu’il n’existe que des histoires singulières. Se garder donc de généraliser.
Déclarer que le bleu est symbole de relaxation ou de confiance sans définir d’abord ce qu’est « le bleu » c’est aller un peu vite, j’imagine mal l’effet relaxant d’un bleu pétrole dans une chambre d’enfant !
De surcroît, un jaune paille peut lui aussi produire l’effet escompté.
Les études sur la psychologie des couleurs sont à remettre dans leur contexte parce qu’elles ont été menées avec des objectifs bien particuliers, notamment pour aider patients, enfants en souffrance, en thérapie, ou des salariés avec la gestion du stress…
Ne mélangeons pas les études et les applications, il faut rester prudent et comprendre que le branding et la communication (logo, site internet…) relèvent d’entrelacs complexes, au carrefour de l’art, de la maîtrise de la lettre et du talent.
Par ailleurs, ces guides (répliques les uns des autres) que vous trouverez sont malheureusement basés sur maximum 5 couleurs dont les trois primaires, et c’est oublier l’immense richesse de tonalités et de vibrance qui s’offrent à nous pour composer nos éléments graphiques.
Revenons un peu sur ces « vérités ».
Le noir, c’est pour le luxe
Elle reste pour moi, une idée reçue. Même si en effet, l’onde noire représente l’élégance ou le mystère (le théâtre utilise pourtant le pourpre), elle n’a plus forcément la préférence des designers pour ce secteur devenu complexe (des marques de luxe inconnues en Europe mais en Chine n’ont pas les mêmes référentiels, des besoins de rajeunir et séduire les plus jeunes n’orientent pas ce choix comme par le passé, le noir n’est pas accueilli de la même manière par les nouvelles générations etc…)
Lalique propose un site dans les couleurs beige, blanc et noir, Kenzo joue à Google dans ses produits, quant au Louvre, il se renferme (flippant) dans une communication dure et Céline reste claire et conserve le blanc.
Si vérité il y a, ce sont les valeurs de la marque et son ADN profond qui déterminent la perception qu’ont les clients et les consommateurs. Ce n’est pas la couleur du logo ou des éléments du site mais plutôt la confirmation que ce choix implique. C’est parce que les marques sont connues ou les repaires établis qu’on les identifie.
On reconnaît Facebook parce qu’il est utilisé par un milliard de personnes, on ne se pose pas la question de la couleur de son logo. Les groupes ou marques qui choisissent le bleu pensent ainsi marquer l’inconscient, je doute que ce soit parce que ce sera bleu mais plutôt parce qu’elles ont une chance d’être rapidement associées à ce qui existe déjà. On ne réinvente pas la forme d’une bouteille, on l’adapte.
Pourquoi pas, mais c’est aussi le risque de perdre sa personnalité…
Le rouge c’est la passion, l’intensité. Oui, probablement. Mais quel rapport entre Coca Cola et Honda ou Pinterest, rouges tous les trois ? Aucun et ce ne sont pas les informations sur le rouge délivrées dans la jolie infographie des marketeurs qui nous le diront.
Pour Honda qui le souligne lui-même, le rouge c’est la fiabilité. Mais pour Pinterest, c’est la reconnaissance. Je doute également que le célèbre news Time Magazine ait choisi le rouge pour son éventuel symbole de dynamisme, car il reste un magazine conventionnel et ne brille pas forcément par ses courageux articles !
Une seule couleur, mais des variété de propositions ou d’identifications… Le sens donné aux couleurs peut s’avérer très subjectif.
Le goût et les couleurs…
« J’aimerai un logo dans les jaunes et verts parce que cela symbolise le soleil, la lumière, la nature… »
Combien de fois avons-nous entendu cette demande ?
Assez souvent.
Pourtant elle ne veut rien dire et n’aboutit que rarement au résultat souhaité. Tout comme la typographie possède ses règles, les couleurs répondent elles aussi à des critères de conception.
Sans entrer dans l’étude de la colorimétrie (évoquer comment l’œil et le prisme de la lumière fonctionnent), un premier rappel est bienvenu : trois couleurs primaires Rouge, Jaune et Bleu composent à elles trois, toutes les autres couleurs par un dosage précis de leur présence respective. Ainsi, pour obtenir un orange clair, on peut mixer 100% de Jaune et 20, 30 ou 40% de rouge.
Chaque « dosage » des trois couleurs mélangées entre elles donnent naissance à une couleur et la finesse du curseur crée ainsi un camaïeu riche en variations.
La couleur n’est pas isolable comme un objet identifié. La couleur a sa vie propre et communique avec ses voisines. Tantôt elle réchauffe l’oeil, tantôt nous refroidit… Mais si elle est bien accompagnée, ses qualités se voient renforcées et dans le cas contraire, ses « défauts » appuyés.
De surcroît, la ou les couleurs ne seront pas perçues de la même manière en fonction du contexte dans lequel elle(s) existe(nt).
Le contexte global et la couleur visée
Dire du « vert » qu’il est symbole de nature est valable mais si le vert choisi est sapin, il pourrait vite nous faire penser aux pharmacies (en France, en tous cas).
Le « vert » n’est pas seulement synonyme du monde bio et végétal et dans un autre contexte, en fonction de ses valeurs (pourcentages des couleurs primaires), il peut devenir énergisant (vert acidulé) ou relaxant (forêt).
Par exemple Spotify joue sur la vibrance de la couleur verte (à peine mentholée) de son logo (avec un léger effet néon) pour évoquer la modernité et jeunesse de son univers musical.
Starbucks joue sur le réconfort et la paix, ses cafés sont des lieux qui nous donnent cette idée d’être « comme à la maison ». La marque est devenue symbole de confort pour beaucoup d’entre-nous.
Le contexte dans lequel on évoque telle ou telle couleur est fondamental. Il s’agit aussi d’identifier les valeurs des trois primaires présentes à travers leur chaleur ou leur froideur, plutôt que de chercher absolument la bonne couleur en fonction des croyances communes et des perceptions. Il faut creuser plus profondément le message final que l’on souhaite délivrer à travers cette composition.
Aussi, se baser sur la notion de couleur sémantique ou avancer une affirmation du type « le marron, c’est pas vraiment une couleur…»
Louis Vuitton devrait alors revoir ses codes couleurs (depuis 1852) et sa communication globale, ma foi ! Et les attelages de luxe devraient peut-être se mettre au bleu !
Ne vous méprenez pas sur mes intentions, je ne cherche pas à défendre ici le luxe et tout le monde n’a évidemment pas le budget de Vuitton, cependant le style, la finesse et l’excellence ne coûtent rien. Ces qualités se cultivent et elles naissent de créations sorties du cerveau des designers qui ont appris, qui ont éduqué leur culture graphique et artistique ainsi que leur regard. Ce n’est pas une histoire de sous mais de goût. Comme le bon chocolat couleur marron…
Identifier les teintes et les lumières…
Évoquer le jaune, ou le bleu ne veut rien dire – isolément. Vous lirez souvent que le bleu est signe de fiabilité. Probablement, et c’est la raison pour laquelle Facebook,Twitter ou Helwett Packard l’utilisent mais n’oublions pas qu’elles sont des industries Corporate et organisations qui ont besoin d’acquérir un capital confiance international.
Reprendre le bleu de Facebook pour une usine de plastique en Lozère pourra vite devenir un signe de manque de personnalité. Et nous rappeler trop Facebook 🙂
Et puis,
Bleu oui, mais quel bleu ?
Le logo de Gap n’a rien à voir avec celui de Windows, pas plus que celui d’Ericsson avec IBM… Et pourtant, ils sont tous bleus. Leur objectif est de garantir une sensation commune de rassurance, sans aucun doute, mais ils demeurent différents et identifiables, autrement que par le seul critère de couleur.
Encourager à utiliser cette couleur pour asseoir la confiance ou l’honnêteté, n’est-ce pas procéder à l’envers en invitant autrui à se rapprocher de ces logos parce que la marque est déjà (re)connue et par effet de mimétisme, reproduire ce qui fonctionne pour d’autres sans se poser fondamentalement la question des valeurs avant celle de la couleur ?
Pourquoi le bleu de Facebook serait-il plus rassurant que le marron de Vuitton ou le vert de Land Rover ?
À l’heure où j’écris cet article, la marque Helwett Packard est en chute de fiabilité et connaît l’un des taux de pannes les plus importants dans son domaine d’activité.
Au delà de la simple nomination des couleurs sémantiques, c’est bien l’alchimie que donnent les jeux de couleurs qui est surprenante et nous oblige à observer de plus près les sensations de chaleur ou de froideur qu’elles nous procurent.
Il y a autant de différence entre le jaune de Naples (#FFF0BC) clair et presque crème et le jaune paille (#FEE347) vif et équilibré que le bleu azur (#1E7FCB) et le cobalt (#22427C) classé dans les bleu marine…
Entre le vert amande (#82C46C) assez terne qui n’a rien à voir avec le vert prairie ( #57D53B) lumineux et vif.
Ou encore le rouge cardinal (#B82010), le rouge grenadine (#E9383F) ou le magenta (#C71585) au carrefour du rouge et du violet…
L’approche à travers les cultures
Le joli guide servi sur les blogs de marketing ne retient-il que la psychologie des couleurs occidentale ? Car en regardant vers l’est, on observe que le blanc ne signifie pas la même chose en Inde qu’en Europe…
Pardon ? Mais le blanc, c’est blanc !
Saviez-vous que les Inuits possèdent 17 mots dans leur langue pour décrire le blanc (qui varient selon les conditions de neige) ?
En Europe, nous associons le blanc à la pureté, à l’opposé du noir que nous relions souvent à la mort. Ces associations sont tout à fait relatives puisque c’est l’inverse pour le blanc en Corée ou en Chine, qui est associé au deuil, alors qu’en Afrique du Sud, c’est le rouge qui lui est associé.
Le contexte joue un rôle fondamental, surtout lorsqu’il est culturel et le choix d’une couleur se fait en fonction de son champ d’action, du périmètre de sa marque ou de ses futures conquêtes commerciales.
Je vous invite à lire un très bel article sur la signification des couleurs à travers le monde si vous souhaitez approfondir ces différences.
Les valeurs d’abord, la couleur en second…
Après maintenant de belles années d’expérience, je constate que la question de départ est souvent mal posée. Qu’est-ce qui compte finalement ?
À chaque conception de logo ou de site internet, je pousse le client à s’interroger sur ses valeurs, ce qui est important pour lui, qu’elle est la plus-value qu’il apporte à ses propres clients… Je constate alors que certains tombent malgré eux dans le piège de ce qui se fait déjà. Car ils sont conditionnés. Je le suis probablement moi aussi, mais c’est justement mon rôle de faire ce travail d’isolement et de tri.
Je commence très rarement une création graphique à partir des notions de couleurs. J’interroge mon client pour définir et préciser sans ambiguïté avec lui ses valeurs, les termes qui peuvent le définir ou définir son activité (Féminin, Classique, Jeune, Luxueux, Calme, Moderne, Sérieux etc..) et j’analyse quelles sont les caractéristiques de sa marque, son organisation ou son actuelle communication.
Le rôle du Designer est de se débarrasser de tout ce qu’il connaît afin de ne pas laisser les références inconscientes prendre le dessus et tomber inévitablement dans la réplique de l’existant.
Souvent, je pose les choses, les laisse quelque temps puis j’y reviens car c’est à ce moment là que les erreurs me sautent aux yeux.
Regarde la concurrence, s’en inspirer permet de remettre la création dans un contexte plus large mais sans copier car chaque entreprise, chaque marque est unique et le véritable enjeu est de lui permettre justement de se démarquer.
Puis le temps fait son travail. Je me demande par exemple si le fait de changer réellement de couleur pour une marque provoquerait-elle une rupture avec son public, si demain Facebook changeait toute sa communication globale en « vert », est-ce que cela changerait son rapport de « confiance » (si tenté de dire qu’il existe encore) que seul le bleu serait censé apporter ?
Il n’existe pas de réponse vérifiée à ce jour sur ces changements de branding, sauf lorsque les marques se sont rajeunies et procédé à de savants liftings, il est très difficile d’affirmer aujourd’hui que telle couleur ou telle autre sera le bon choix.
EN CONCLUSION
Au-delà de la couleur, c’est véritablement le contexte et la composition qui sont à prendre en compte.
En amont de toute création, il est essentiel de définir le périmètre, lister les valeurs défendues et d’orchestrer avec talent : typographie, couleurs et composition pour délivrer une réalisation unique et solide.